Propositions de la société civile pour renforcer les relations bi-régionales

Dans le contexte actuel de transformation mondiale, de crises qui se chevauchent et de reprise progressive après la pandémie, les relations entre l’Union Européenne (UE) et l’Amérique Latine – Caraïbes (ALC) ont le potentiel de promouvoir le développement durable et de faire progresser les droits de l’homme. Pour ce faire, la société civile doit être impliquée en tant qu’acteur clé afin d’améliorer l’inclusivité, la transparence et l’efficacité des processus. Après une relative stagnation de l’agenda bi-régional, un accord a été conclu pour renouveler le partenariat stratégique lors d’un nouveau sommet UE-CELAC les 17 et 18 juillet à Bruxelles. Le 7 juin, la Commission Européenne a publié la communication conjointe “Un nouvel agenda pour les relations UE-ALC” qui définit les priorités et les actions proposées par l’UE dans des domaines clés. L’ALC est un allié très important pour l’UE en termes d’investissement, de commerce et de coopération dans des domaines clés tels que la biodiversité, les énergies renouvelables, la production agricole, la défense du multilatéralisme et les matières premières stratégiques. Un programme a donc été établi autour de six priorités : approfondir le dialogue politique, compléter le réseau d’accords commerciaux, coopérer sur les transitions (écologique, numérique et sociale), relever les défis en matière de sécurité et de justice, promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’homme, et construire un partenariat centré sur les personnes.
L’UE a lancé la stratégie “Global Gateway” pour stimuler les investissements dans les infrastructures à l’échelle mondiale, en proposant un programme d’investissement spécifique à la région ALC à adopter lors du sommet UE-CELAC et en faisant de l’ALC le terrain d’essai de la “Global Gateway”. Toutefois, cette initiative manque d’une structure de gouvernance horizontale bi-régionale, d’un engagement à exiger des processus de diligence raisonnable et de mesure de l’impact opérationnel des inégalités, ainsi que de la participation de la société civile. En outre, l’espace civique se rétrécit dans de nombreux pays. Cette situation a été aggravée par la pandémie, qui a entraîné une augmentation sans précédent des attaques contre les organisations, les militants et les défenseurs des droits de l’homme, entraînant des déplacements, de la violence et de l’impunité. Cette situation a eu un impact disproportionné sur les plus marginalisés. Les nouvelles relations entre l’UE et l’ALC offrent l’occasion de donner la priorité à la défense des droits de l’homme et de l’espace civique. Elles permettent de développer conjointement des mécanismes de protection au niveau bi-régional, et de s’engager fermement à protéger et à élargir l’espace civique dans les pays et à inverser les processus de répression politique, administrative et financière contre les organisations sociales et les défenseurs des droits et des territoires.
Dans la région ALC, le fossé entre la pauvreté et l’extrême richesse s’est creusé au cours des dernières décennies et les taux d’inflation ont grimpé en flèche, créant des inégalités multidimensionnelles et intersectionnelles. Alors que la plupart des gens vivent dans une situation de vulnérabilité, les milliardaires ont vu leur richesse augmenter (de 21 % pendant la pandémie). Il est impératif de s’attaquer à ces inégalités en promouvant la protection sociale, des systèmes de soins complets, une fiscalité progressive, des emplois décents, des ressources pour les services de base et un partenariat féministe bi-régional. Une transition verte et juste est essentielle pour faire face à l’urgence climatique. Elle est également nécessaire pour réorganiser les sociétés et les économies selon les principes des droits de l’homme et du travail, des frontières planétaires et du bien-être pour tous, en promouvant la transition vers des systèmes agroécologiques et l’annulation de la dette extérieure, par exemple. Un financement prévisible et suffisant est nécessaire pour soutenir la transition et lutter contre la pauvreté et les inégalités en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Les accords de commerce et d’investissement entre l’UE et l’ALC ne répondent pas aux objectifs de développement durable et ne contribuent pas à la réduction de la pauvreté. Ils tendent à perpétuer la dépendance à l’égard des industries extractives qui ont un impact majeur sur les territoires et l’environnement. Même s’ils contiennent des clauses relatives aux droits de l’homme et à la durabilité, ils manquent de mécanismes contraignants et n’ont pas d’impact significatif, quelle que soit la gravité des violations des droits de l’homme. Dans le contexte mondial de régression démocratique, d’un espace civique restreint et d’une crise de confiance publique, l’engagement d’une société civile active et diversifiée est crucial pour la réussite et la fiabilité du projet stratégique bi-régional. A cet égard, sur la base de la contribution historique, de la pertinence actuelle et de la légitimité du travail des organisations et réseaux de la société civile qui composent le groupe UE-ALC, nous proposons les recommandations suivantes pour le renouvellement des relations UE-ALC.
Principales recommandations du groupe UE-ALC
Établir un véritable partenariat politique renouvelé
Mettre en place une structure réunissant plusieurs parties prenantes pour la participation, la contribution et le suivi des processus UE-CELAC, qui sera formellement intégrée au mécanisme de coordination permanent créé entre l’UE et la CELAC.
Vers un espace civique ouvert pour une démocratie active
- Passer en revue et examiner les prêts en cours ou les subventions accordées par les institutions financières afin de s’assurer qu’ils ne sont pas accordés à des personnes ou à des entités impliquées dans des affaires de corruption, de financement illicite de campagnes politiques ou de violations des droits de l’homme.
- Voter contre les prêts ou aides en cours accordés aux personnes ou entités responsables d’abus de ce type et imposer des sanctions en matière de visas ainsi que le gel de leurs avoirs économiques et de leurs placements dans le système financier de l’UE.
Vers un agenda UE-ALC qui place la lutte contre les inégalités au centre de ses préoccupations
- Placer la réduction des inégalités, la propriété des pays de la région, la transparence et les objectifs de développement durable au centre de la stratégie de la passerelle mondiale plutôt que de privilégier les intérêts privés et géopolitiques.
- Convenir d’un pacte solidaire bi-régional de la société et soutenir la plateforme fiscale régionale dirigée par la Colombie pour développer des politiques fiscales dans la région.
Vers une transition verte et juste pour les deux régions
- Veiller à ce que les programmes d’investissement soutenus par l’UE pour l’ALC dans le cadre de Global Gateway contribuent à la transformation du système de production et de la matrice énergétique conformément aux droits de l’homme et au respect de l’environnement. Cela doit inclure des processus rigoureux de diligence raisonnable et être basé sur le leadership et l’appropriation des acteurs locaux.
- Faciliter la disponibilité des ressources financières pour la transition verte et juste en soutenant les efforts d’annulation de la dette des gouvernements de l’ALC, et par des réformes fiscales progressives, des programmes de lutte contre l’évasion fiscale, la suppression progressive des subventions aux combustibles fossiles, le renforcement et l’extension des systèmes de protection sociale universelle, et l’investissement dans des services publics de qualité.
Vers des accords d’investissement et de commerce justes et durables
- Réviser les accords commerciaux types de l’UE afin d’y intégrer au moins un chapitre contraignant sur la durabilité, en définissant des mécanismes de plainte et des sanctions en cas de non-respect des clauses sociales, environnementales et des droits de l’homme, et en conditionnant la signature et la ratification de tout accord à l’inclusion de ce chapitre.
- L’UE et ses États membres doivent combiner l’adoption d’une directive ambitieuse sur la diligence raisonnable avec la réforme des accords commerciaux et d’investissement, en éliminant le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) et en garantissant les obligations environnementales.